24.9.06

EDITORIAL



Le rire d'un nom
L'expérience extrême dans le langage porte un nom. Un seul. La confusion et la difficulté viennent de là, inutile de les chercher ailleurs. L'évidence portée à ce point éblouit, son mouvement entraîne et paralyse, sa radicalité provoque une adhésion et un refus sans nom.
Pourtant chacun de nous aura vécu, senti, lu, aimé; chacun de nous aura porté un nom, propre, inaliénable. Chacun de nous aura peut-être entendu un appel, un signe qui nous voue à passer de l'autre côté du décor... Ce fut un rêve.
La littérature conduite à ce point est une expérience grave, sans réponse : un homme peut-il survivre à l'anéantissement sans reste de toutes ses certitudes ? Peut-il survivre, sans place, imaginant qu'il est, malgré tout, à l'endroit où il ne vit plus ?
Que la vie soit une maladie, le corps une erreur, le sexe une emprise, c'est ce que chacun de nous aura pressenti, ruminé, perçu comme une idée folle et sans conséquence. Personne pourtant n'aura été capable de consentir à cette négation radicale. Le psychisme aura toujours vaincu face à la défaillance du langage; car c'est une affaire de langage. En exercice. En acte.
Dans la plus extrême tension entre sexe et langage, une barque aura réussi à passer, là où toutes les autres se noient. L'admiration, le soupçon et le ressentiment la suivent, pour les siècles des siècles, c'est sans fin.
Ouvrons un livre de Sollers. Paradis II, pourquoi pas ?
L'espace est ici léger et discret, parfois rapide, un mouvement tournant l'anime jusqu'à ce que le débordement d'énergie se transforme en immobilité : l'instant retrouvé, hors atteinte, le présent délivré du poids de la rentabilité, la gratuité fugace et éternelle du moment. L'individu réussit pour un bref instant à s'arracher à la comédie sociale et sexuelle, à l'avenir inutile. Le passé est sans cesse annulé. Plus loin, la certitude musicale d'une ouverture hors du monde, un rêve de Paradis.
Les mots et la voix s'élèvent peu à peu, ils deviennent de plus en plus sereins, distincts; le souffle retraverse une fois de plus les portes de l'inanimé, la souplesse ignore la pesanteur du mal. La peur est renvoyée à plus tard. Recommençons : la souffrance n'est qu'une affaire de paresse...
Il faut rester très jeune, infiniment rajeuni dans son corps par la réflexion et l'expérience pour lire Philippe Sollers.

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